Beatles ou Stones, Stones ou Beatles ? En même temps que celui de la décennie, l'année 1969 sonne le glas de la plus belle partie de ping-pong de l'histoire du rock.
Alors que les quatre de Liverpool viennent de publier avec Abbey Road ce qui sera en vérité leur dernier album et leur plus célèbre pochette (Let It be, sorti en 1970, a en fait été enregistré avant), on se demande bien ce que sera la réponse des Stones. Non seulement les Beatles ont frappé un grand coup avec des tubes planétaires comme Here comes the sun, Come together ou la magnifique ballade Because, l'écurie d'en face vient de subir une perte sévère : son inventif guitariste et multi-instrumentiste Brian Jones vient de claquer la porte du groupe pour un différend artistique avec le duo Jagger/Richards, juste avant de claquer celle de la vie, sans doute à cause d'un abus de substances illicites ayant entraîné une noyade dans sa piscine.
Let it Bleed est donc le premier album post-Brian Jones, même s'il est encore crédité sur deux morceaux. Comme d'autres LP du groupe, celui-ci peut apparaître comme manquant de cohérence : reste une poignée de chansons au charme bluesy et deux jolis tubes !
Seule parmi les neuf chansons du disque à ne pas être labellisée Jagger/Keith, Love in vain est une reprise du mythique bluesman noir Robert Johnson et bénéficie de la contribution, à la mandoline, d'un certain Ry Cooder, qui devait bien plus tard s'illustrer en remettant sur les rails et en conduisant à la gloire de vénérables musiciens cubains (Buena Vista Social Club). Quant à la chanson-titre, elle est en quelque sorte l'archétype du son stonien, avec ses 5 minutes 25 de blues-rock indolent. Mais c'est en guise d'introduction et de conclusion à l'album que le groupe livre ses deux plus beaux joyaux : Let it bleed s'ouvre ainsi sur le morbide Gimme Shelter, superbe morceau souvent repris par d'autres, que ce soit d'effrayante façon (Sisters of Mercy) ou de manière étonnament légère (Inspiral Carpets). Quant à You can't always get what you want, il est souvent considéré comme une réponse au Hey Jude de l'équipe concurrente et voit effectivement Mick et sa bande s'aventurer dans un territoire pop typiquement beatlesien. Avec son chant choral en guise d'introduction, il tranche nettement avec le reste de l'album et plus généralement avec les productions du groupe. On peut y voir un adieu au Swinging London et à ses excès, bref, aux années 60.
1969. Qui aurait pu croire que les Beatles, au sommet de leur art, étaient presque morts. A l'inverse, qui pouvait alors imaginer que la flamme des Stones brûlerait encore... 37 ans plus tard !
G.W.
The Rolling Stones
"Let it bleed"
(ABKCO, 1969)